Manifeste du Village des féminismes 2021

Contre les enfermements, et pour lutter ensemble !
Le 8 mars 2020, pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le Village des féminismes #1, et sa cinquantaine de collectifs et associations, accueillait plus d’un millier de personnes pour sortir de l’effroi face à la complaisance du féminisme institutionnel et de la gauche gouvernementale. Cette année, nous ne pouvons que constater les mêmes dynamiques d’instrumentalisation du féminisme par les mêmes institutions et classes dirigeantes. En effet, en refusant d’envisager la nécessité d’une profonde remise en cause du système, les sphères du pouvoir prennent appui sur lui en creusant toujours plus les fossés qui nous isolent à la périphérie, afin de satisfaire leur place de choix au sommet de ce système. Puisque la crise sanitaire actuelle sert de prétexte pour perpétrer et endurcir ces politiques d’isolement, nous en prenons acte en nous positionnant contre les enfermements.
Depuis le premier confinement, est mise en lumière l’insuffisance des institutions contre lesquelles nous luttons depuis toujours en tant que féministes. La crise sanitaire révèle et amplifie les dysfonctionnements structurels de la machine capitaliste patriarcale et néo-coloniale dans laquelle se situe la France. Les femmes, surreprésentées dans les métiers dits subalternes, se sont retrouvées en première ligne dans la “guerre” proclamée par Macron contre le Covid-19. Les personnes déjà fragilisées que sont les femmes racisées, dont les musulmanes, les femmes trans, migrantes, TDS, précaires et/ou en situation de handicap n’ont en retour que des réponses institutionnelles inconséquentes et méprisant leur humanité. La mauvaise gestion étatique a aggravé la précarisation, l’exposition aux violences, l’éloignement des parcours de soins et les expulsions des plus précaires d’entre nous. Nos libertés et notre émancipation doivent être pensées de manière globale et ne peuvent pas se faire au détriment d’autres personnes plus vulnérables.
Nos libertés sont également menacées par le projet de loi “séparatisme” prétendant “conforter les principes républicains”, énième discours politique sexiste et islamophobe qui représente une menace notamment pour les droits des musulmanes déjà lourdement discriminées sur le marché de l’emploi, dans leur accès à l’éducation et aux loisirs. Encouragés par des gouvernements qui changent et se ressemblent, se nourrissant avec plus ou moins de délectation des imaginaires coloniaux et racistes, les médias et politiques n’ont de cesse depuis plusieurs décennies de désigner les musulman·e·s comme ennemi·e·s de l’intérieur. Les femmes musulmanes se voient donc contraintes, pour se préserver, de redoubler d’efforts pour se conformer à des attentes intenables : renoncer à leur religion, renoncer à la vivre comme elles le souhaitent, renoncer à leurs identités, à leurs cultures, à leurs vêtements, renoncer à vivre librement avec leurs familles et leurs communautés. Ce projet de loi représente une répression pour toutes les minorités religieuses, absolument contraire au principe de laïcité de la loi de 1905 : les musulman·e·s bien évidemment visé·e·s par le texte, mais aussi nos frères et sœurs juif·ves, chrétien·ne·s protestant·e·s, sikhs, bouddhistes…
Les enfermements contre lesquels nous luttons en tant que féministes sont à la fois symboliques et concrets : les stratégies mises en place par l’Etat et ses institutions nous enferment politiquement et matériellement. Le Parlement fait mine de discourir encore et toujours sur nos libertés et notre droit à protéger nos familles, en refusant et conditionnant l’accès à la parentalité pour les femmes seules, les lesbiennes en couple et les personnes trans. Les violences d’Etat s’immiscent à tous les niveaux et l’objectif le plus limpide est de faire taire toute parole dissidente, qu’elle remette en question l’autoritarisme étatique ou ose réclamer ses droits. La répression policière s’est également présentée comme une priorité gouvernementale pour répondre à toute revendication : celle des soignant·e·s à qui l’on préfère donner des médailles plutôt que des moyens ; celle qui s’élève contre la loi “sécurité globale”, incitant au flicage des individu·e·s, à l’impunité policière et à la criminalisation des victimes ; celle des universitaires et des associations dont l’avenir sera conditionné au “respect des valeurs de la République”. Il faut nous interroger sur notre occupation de l’espace public et sur la visibilisation de nos revendications, principalement à travers notre droit de manifester. Peut-on parler de démocratie et de libertés lorsque manifester devient synonyme d’être mutilé·e/gazé·e/frappé·e/enfermé·e pour l’unique motif d’avoir existé dans l’espace public ? La France s’acharne à nous maintenir dans un système de privilèges et s’illustre dans sa piètre créativité pour cacher sa volonté de maintenir un ordre hétérosexiste, racial, colonial et impérialiste.
Nous ne pouvons pas aborder la question des enfermements sans mentionner la censure grandissante sur les différentes plateformes digitales, qui touche nombre de nos militantes. Alors que les discours de haine en tout genre pullulent, c’est encore une fois notre parole qui est censurée, invisibilisée et effacée. Ainsi, lorsque des menaces sont proférées quotidiennement à l’encontre de personnes marginalisées, cela “ne va pas à l’encontre des règles de la communauté”, mais lorsque ces mêmes personnes osent se demander “comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer?”, leurs publications sont immédiatement supprimées. Au-delà de lutter pour avoir le droit d’exister et de s’exprimer sur ces plateformes, nous luttons également contre la récupération de ces outils par l’Etat qui souhaite les mettre à profit afin de créer une société de surveillance de masse. L’autorisation récente du fichage des opinions politiques, religieuses et syndicales pourrait nous amener à nous autocensurer, voire à quitter ces espaces par peur de représailles. Le terrain digital est un véritable champ de luttes.
Face à de telles violences étatiques, face à un système défaillant et niant nos réalités, nous refusons de faire confiance aux institutions policières et judiciaires. Nous refusons que nos luttes féministes soient instrumentalisées à des fins autoritaires et liberticides. Nous n’acceptons pas la répression, l’incarcération, l’expulsion comme modes d’action. Le système carcéral punitif ne nous a jamais protégées de l’inceste, des pédocriminels, des violences domestiques, physiques, psychiques et sexuelles. Il a cependant exposé nos sœurs trans enfermées dans des prisons pour hommes aux violences que nous dénonçons. Les lois, les prisons, la judiciarisation n’arrivent qu’après coup dans une partialité raciste, classiste et lgbtqi+phobe.
Au vu du contexte actuel, beaucoup de nos forces sont utilisées pour lutter contre, en réaction aux immondices qui monopolisent le débat public. Ce que l’on souhaite proposer pour cette deuxième édition du Village des féminismes s’inscrit au-delà de ces débats imposés : il s’agirait désormais de lutter pour nos vies, nos adelphes, nos valeurs, nos conditions d’existence, nos rêves, nos utopies. Prendre soin de soi est un acte de résistance. S’autoriser à rêver est un acte de résistance.
Nous nous retrouverons en ligne le 7 mars 2021, non seulement pour lutter pour, mais aussi pour lutter ensemble. Cet événement sera l’occasion de nous ressourcer, nous retrouver, recréer du lien en apprenant toujours plus les unes des autres, et surtout, de casser les dynamiques d’enfermement et d’isolement dans lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui. Nos luttes existaient auparavant, et elles continueront d’exister tant que notre humanité, notre dignité et nos droits seront bafoués. Nous sommes l’avenir, nous sommes le présent en train de se faire ; l’ancien féminisme est depuis trop longtemps perdu dans les limbes de la transphobie, la négrophobie, l’islamophobie, la putophobie et des queer et intersexophobies.
Briser l’isolement, c’est prendre le temps de construire ensemble. Construire nos résistances et sortir du cadre qui nous est imposé. Prendre soin de nos communautés, les faire perdurer. S’organiser pour compenser, guérir, prévenir et trouver des moyens d’esquiver toutes les stratégies d’enfermement et d’isolement. Notre militantisme ne saurait se contenter du climat anxiogène et délétère actuel, il doit aussi nous procurer de la joie et nous redonner espoir !

Organisations signataires:
Contact à villagedesfeminismes8mars@gmail.com pour signer le manifeste
Collectif Afro-Fem
Association Hystérique*
Les Bavardes
Collectif Fémin/Asie
FièrEs
Collectif Filles de Blédards
Collectif des Juifves VNR
Genepi
Collectif Irrécupérable
Humans for Women
Collectif Collages Judéité Queer
Mwasi – Collectif Afroféministe
Nta Rajel?
Les Ourses à plumes
Collectif PAAF
Polysème Mag
QTPOC Autonomes Paris
Lallab
Association Qwinz
Collectif des Rosas
Sorore Ensemble
Strass
Voix Déterres
Women’s March Pari